L’homme de l’Abri-du-Roc marche.
Devant lui vont les taureaux noirs,
Les bœufs rouges et les cerfs rouges,
Et les petits chevaux brun-noir.
Devant lui va la licorne-rhinocéros.
Peut-être existe-t-elle ou peut-être
N’existe-t-elle pas.
Car elle est très loin devant,
Et l’homme rêve.
- Je prendrai tes cornes,
Tes longues cornes noires,
Dit l’homme de l’Abri-du-Roc.
Je me déguiserai.
Je me déguiserai en licorne-rhinocéros.
Et six bisons viendront jusqu’à moi.
Et dix petits cerfs rouges
Me lècheront les mains.
Et tous les chevaux brun-noir
Viendront danser autour de moi.
Jacqueline et Claude Held Voyage en Préhistoire - 2004
L'heure du crime
Maurice CAREME
(Wavre 1899 - Anderlecht 1978)
Il a l'incisive aiguisée,
Le teint bleuté, phosphorescent,
De petits yeux incandescents,
Le cheveu noir et gominé ;
C'est le vampire des Carpathes,
Ou celui de Transsylvanie,
L'homme et la bête réunis,
Le légendaire aristocrate,
Qui nous revient de l'au-délà,
Dessous sa cape majestueuse,
Guettant la gorge bien juteuse,
Où coule un globuli-cola !
C'est la créature insomniaque,
Qui sort de son cercueil pourri,
Se transforme en chauve-souris,
En fumée verte démoniaque,
Pourchasse la nuit ses victimes,
Tel un prédateur sanguinaire,
Puis sur la nuque, entre deux nerfs,
Applique sa morsure ultime !
De Yann Walcker.
Pour devenir une sorcière
À l'école des sorcières
On apprend les mauvaises manières
D'abord ne jamais dire pardon
Être méchant et polisson
S'amuser de la peur des gens
Puis détester tous les enfants.
À l'école des sorcières
On joue dehors dans les cimetières
D'abord à saute-crapaud
Ou bien au jeu des gros mots
Puis on s'habille de noir
Et l'on ne sort que le soir.
À l'école des sorcières
On retient des formules entières
D'abord des mots très rigolos
Comme « chibernique » et « carlingot »
Puis de vraies formules magiques
Et là il faut que l'on s'applique.
Si Gaston s’appelait Gisèle,
Si l’on pleurait lorsqu’on rit,
Si le pape habitait Paris,
Si l’on mourait avant de naître,
Si la porte était la fenêtre
Si l’agneau dévorait le loup,
Si les Normands parlaient Zoulou,
Si la mer Noire était la Manche,
Et la mer Rouge la mer Blanche
Si le monde était à l’envers,
Je marcherais les pieds en l’air,
Le jour je garderais la chambre,
J’irais à la plage en décembre,
Deux et un ne feraient plus trois
Quel ennui ce monde à l’endroit !
L’arbre perché
Les Éditions Ouvrières
Qui n’a jamais vu un rat
Ou un vieux matou
Revenu de tout
Un briscard de gouttière
A la tête altière
Ou un abyssin
Au délicat dessin
Un chat charmant
Chéri de votre maman
Ou un turc (ottoman recommandable)
Tapi dessous la table
Pour jouer à chat percé
Il suffit de lui passer
Une épée à travers le corps
Et quand il est mort
On a gagné !
Mais on risque fort de se faire gronder
On peut alors tenter de le scier
De le recoudre avec une aiguille d’acier
Pour jouer à chat rapiécé
Mais le résultat n’est pas toujours apprécié
Gérard Bialestowski
Ulysse
Écoute la voix des sirènes
Plonge, va trouver notre reine,
Dans son palais, deviens le roi
Mais Ulysse préfère au toit
Des vagues celui des nuages,
Dans la direction d'Ithaque
Son regard reste fixé droit
Et les filles aux longs cheveux
Ont beau nager dans son sillage,
Il demeure sourd, il ne veut
Que la chanson, que le visage
Conservé au fond de ses yeux,
De Pénélope toujours sage.
Louis GUILLAUME
Le Lion et le Rat
Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux Fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d'un Lion
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le Roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un Lion d'un Rat eût affaire ?
Cependant il advint qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets,
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
Qu'elle était belle, ma Frégate,
Lorsqu'elle voguait dans le vent!
Elle avait, au soleil levant,
Toutes les couleurs de l'agate ;
Ses voiles luisaient le matin
Comme des ballons de satin ;
Sa quille mince longue et plate,
Portait deux bandes d'écarlate
Sur vingt-quatre canons cachés;
Ses mâts, en arrière penchés,
Paraissaient à demi couchés.
Dix fois plus vive qu'un pirate,
En cent jours du Havre à Surate
Elle nous emporta souvent.
Qu'elle était belle, ma Frégate,
Lorsqu'elle voguait dans le vent !
Alfred de Vigny
Deux droites parallèles
Depuis longtemps s'aimaient.
- Nous toucher, disaient-elles.
Le pourrons-nous jamais ?
Messieurs les géomètres
Nous parlent d'infini ;
C'est bien beau de promettre,
Mais tant de kilomètres
Ça donne le tournis !
- Si le sort vous accable,
Leur répondis-je alors,
Rapprochez-vous, que diable,
Rapprochez-vous encor !
Ma remarque opportune
Leur fut d'un grand secours :
Il n'en reste plus qu'une,
Quel beau roman d'amour!
Jean-Luc Moreau